Extraits d'un article de L' Express du 4 décembre 2002

La Dame de Fer de Lettonie

Présidente depuis 1999, la très combative Vaira

Vike-Freiberga voit dans l’adhésion de sa petite république

une sorte de revanche pour toutes les humiliations

subies sous le joug communiste

 

De notre envoyé spécial

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Dans la catégorie « Dames de fer », Margaret Thatcher est sans doute détrônée. Voici Vaira Vike-Freiberga, présidente de la République de Lettonie, qui nous accueille, droite et sans sourire, à l’entrée d’un austère bureau de son palais de Riga. C’est une combattante, un fantassin de la guerre froide, casque de cheveux roux et regard d’acier, une femme qui a passé une vie d’exil à maintenir vivante la flamme de la conscience nationale lettone aux quatre coins du monde, alors que son pays n’était plus qu’une petite province soviétique, sur les bords de la Baltique, colonisée par les Russes. Très populaire dans son pays, Mme Vike-Freiberga en est nommée présidente par le Parlement en 1999 après avoir été, des décennies durant, l’une des grandes figures de la diaspora lettone et sa principale ambassadrice. Elle retrouvait alors un pays abandonné mais jamais oublié en 1944, alors qu’elle n’avait que 7 ans, pour fuir, avec ses parents, l’Armée rouge. Elle connut, enfant, les tristes tribulations de l’exil et les camps de réfugiés. Sa famille s’établit au Maroc, où Vaira apprend le français, qu’elle parle toujours à la perfection, puis à Toronto, au Canada, qui abrite une large communauté lettone. Comme beaucoup d’exilés, à la fois fidèles à leurs origines et occidentalisés, elle a volé au secours de son pays quand s’est effondrée l’Union soviétique et a mené un lobbying efficace auprès de la communauté internationale pour que soit reconnue son indépendance, proclamée en août 1991, après l’épisode sanglant des barricades de Riga, en janvier de la même année, lorsque la population affronte les troupes spéciales du ministère de l’Intérieur soviétique. « Nous avons déblayé les ruines d’un empire qui s’est écroulé. » Et la voici, soldat de l’Europe et de la liberté, prête pour un nouveau combat, celui de l’intégration de sa petite république au sein de l’Otan et de l’Union Européenne. «Nous avons reconstruit notre pays, et maintenant nous sommes prêts à reconstruire le continent.»

 

Très à l'aise parmi les grands, surpris (et charmés) par son tempérament 

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Raide dans son maintien comme dans ses propos, la présidente lettone se déclare « enthousiaste » à l’égard du projet européen. Elle le dit d’un ton neutre, qui suggère le feu couvant sous la cendre, la patience et l’opiniâtreté. Pour elle, l’Europe unie n’est pas seulement l’avenir, mais aussi une gifle au passé, une vengeance, un plat qui peut se manger froid. « Une Europe véritablement réunie deviendra une sorte de revanche pour toutes les souffrances, les injustices et les humiliations qu’ont dû subir des dizaines de millions d’Européens durant un demi-siècle d’oppression communiste », déclarait-elle, le 2 octobre dernier, devant les sénateurs français lors d’une visite officielle à Paris.

Le 5 novembre, à Riga, elle était devant le Parlement après avoir nommé Premier ministre le vainqueur des élections législatives d’octobre, l’ancien gouverneur de la Banque centrale, Einars Repse, et elle ne lui promettait que de la peine et du labeur. «Vous n’aurez pas de lune de miel avant de vous mettre au travail. » « Pas le temps de s’échauffer », ajoutait-elle, avant de s’atteler aux deux tâches prioritaires du gouvernement répondre à l’invitation du sommet de Prague de novembre à rejoindre l’Otan et mener à leur terme les négociations avec la Commission de Bruxelles afin de pouvoir intégrer l’Union en 2004.

 

3-Autant les sondages révèlent le désir des Lettons de rejoindre l’Alliance atlantique, perçue comme le meilleur garant de leur indépendance chèrement reconquise (les dernières troupes russes n’ont quitté le pays qu’en 1994), autant ils soulignent une certaine réticence à l’égard de l’Union. Celle-ci a-t-elle fait trop attendre la Lettonie avant de songer à lui ouvrir ses portes ?

 «La question n’est pas là, rétorque Mme Vike-Freiberga. Avec son histoire, notre pays ne va pas prendre de grands airs si l’on ne répond pas immédiatement à ses premiers

désirs. » Non, le problème, ce sont les quotas agricoles que Bruxelles prétend imposer à Riga, et qui correspondent aux niveaux de production que connut la Lettonie quand ses paysans, après la difficile relance d’exploitations jadis collectivisées par les Soviétiques, virent leurs marchés traditionnels s’effondrer avec la crise financière russe.

 

4 -Opposition contre les quotas agricoles

«Aujourd’hui, on nous impose des quotas, notamment sur le lait, qui correspondent à la moitié de ce que l’on produit actuellement, c’est aberrant. Personne, agriculteur ou non, ne va accepter ça. Tout notre avenir se jouera dans ces ultimes négociations. Car, à l’heure du référendum, qui aura lieu l’année pro­chaine, portant sur notre éventuelle entrée dans l’Union, cela va peser très lourd dans la balance. » 

La présidente admet aussi que la population lettone, qui chérit tant sa nouvelle indépendance, s’inquiète de devoir abandonner à la bureaucratie bruxelloise une partie de sa souveraineté. « Oui, c’est un souci, dit-elle, même si cet abandon est assez symbolique, puisque nous rejoignons une Union européenne dont le droit, les principes et les valeurs démocratiques sont identiques aux nôtres. »

 

5-Deux problèmes demeurent, qui dominent la vie politique locale et alarment le reste de l’Europe : la corruption et la difficile intégration de la forte minorité russe (plus du tiers de la population).

 De la lutte contre la première, Einars Repse a fait son cheval de bataille durant la campagne électorale, et cela s’est avéré être une stratégie gagnante. « La corruption touche presque tous les partis politiques, et dire “presque”, c’est être poli», déclarait-il avant d’être élu. Le correspondant du quotidien britannique Financial Times à Riga, Rafael Behr, manie lui aussi l’euphémisme en écrivant que « la vie politique lettone n’est pas conseillée aux âmes sensibles ». 

Mme Vike-Freiberga s’en agace: «Demandez aux investisseurs qui sont venus en Lettonie. Ils sont tous ravis.» Tout au plus admet-elle l’in­fluence « d’oligarques, bien que ce terme soit un peu ridicule dans un petit pays comme le nôtre », dont les contacts avec la classe politique ne seraient le plus souvent, selon elle, qu’un innocent « lobbying ». Et perdurent peut-être aussi, çà et là, les mauvaises habitudes de quelques bureaucrates tatillons, «comme du temps de l’Union soviétique, où chaque fonctionnaire était un petit Staline ».

 

6-La minorité russophone, à travers une coalition intitulée «Pour les droits de l’homme dans une Lettonie unie », a fait une remarquable percée aux élections législatives d’octobre et dénonce « la démocratie ethnique » que serait, selon elle, la Lettonie d’aujourd’hui. Même si des efforts ont été accomplis pour intégrer les russophones, environ 500 000 d’entre eux n’ont toujours pas la citoyenneté lettone. La présidente suggère qu’ils n’en ont peut-être guère envie. « Ils sont venus du temps de l’Union soviétique, et cela a été une mauvaise surprise pour certains d’entre eux de se réveiller un jour dans un pays qui s’appelle la Lettonie, habité par des Lettons qui parlent le letton. »S Michel Faure

 

 

   
 
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