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La Slovénie C’est un pays serein que dirige
avec sagesse le Premier ministre Drnovsek. Tellement serein qu’il craint de
voir son bonheur se diluer dans l’Union
Européenne. De notre envoyé spécial (Extrait
de L’Express n° 2678 semaine du 31 octobre au – novembre 2002 Dans l’Eurobaromètre, enquête régulière sur les opinions publiques
européennes, ce petit pays-là détient une place à part. Avec ses vallées
alpines, ses clochetons immaculés, sa capitale assoupie, aimable bourgade où
les façades de style classique dessinent un décor de sous-préfecture de
l’empire des Habsbourg, la Slovénie est, parmi les futurs membres appelés
à rejoindre l’Union européenne en 2004, le pays le plus méconnu des Français.
« C’est la raison du succès,
commente, avec ce brin de fatalisme des Slaves du Sud, le Premier ministre,
Janez Drnovsek. Notre développement est stable, notre économie est saine et
nous sommes à l’abri des conflits rien ici n’attire l’attention des médias
étrangers. » Pour vivre heureux, vivons cachés. Ce pourrait être la devise
nationale des Slovènes. Leur territoire, ces versants alpins qui dévalent
vers l’Adriatique, a longtemps été en proie à la convoitise des voisins
latins, germaniques, hongrois. L’expérience yougoslave elle-même a vite été
perçue comme la sujétion à une nouvelle domination extérieure, croate et
serbe. De cette histoire, les Slovènes ont gardé un vif attachement à leur
indépendance, arrachée en 1991 lors de l’éclatement de
l’ex-Yougoslavie, et une solide méfiance à l’égard des appétits étrangers.
Ce n’est pas le moindre des succès à porter au crédit de Janez Drnovsek
que d’avoir conduit, malgré les réticences d’une large partie de ses
concitoyens, le pays à l’adhésion. A 52 ans, cet économiste inspire, il
est vrai, une telle estime qu’il est donné comme le prochain vainqueur de
l’élection présidentielle des 10 novembre et 1er
décembre. Janez le bienheureux
En 1989, celui qui n’est alors qu’un inconnu devient le premier élu non
communiste à représenter la République slovène à la présidence
collective de Yougoslavie. Il sera le dernier président de la Fédération
yougoslave, entre 1989 et 1990, période pendant laquelle il défend les
droits de l’homme et permet la tenue d’élections libres en Slovénie et
en Croatie. Ce polyglotte — il parle six langues, dont le français
— discret, presque taciturne, adepte du yoga, bourreau de
travail connu pour peser ses mots et ses décisions, passé par l’épreuve
du cancer, gouverne la Slovénie depuis 1992 (sauf pendant six mois) avec un
seul objectif: ancrer le pays à l’Ouest, dans l’Union et dans l’Otan. « Nous réintégrons l’Europe,
explique cet auteur d’une autobiographie intitulée Echapper â l’enfer, décidés à assumer notre part des responsabilités
communes et notamment à aider à la stabilisation des Balkans. » Les relations, un temps
difficiles, avec l’Autriche et l’Italie — les
droits des minorités respectives, l’indemnisation des biens expropriés
après 1945 — ont été normalisées. Membre du Parti européen
des libéraux démocrates et réformateurs, Drnovsek plaide déjà pour un
prochain élargissement au voisin croate « avant
la Roumanie et la Bulgarie », une
simplification des mécanismes de prise de décision dans l’Europe à 25,
une réforme de la politique agricole européenne, « trop subventionnée »,
et
«
un
renforcement politique, économique mais aussi militaire de l’Europe dans le
partenariat avec les Etats-Unis ». Patiemment, face à son opinion tentée par une neutralité à la suisse, il
défend la prochaine adhésion à l’Otan comme il ouvre progressivement l’économie
slovène, encore largement publique, aux intérêts privés étrangers, seuls
capables d’investir et d’assurer la compétitivité des entreprises
locales. A force de pédagogie, il a ainsi désarmé les oppositions à la privatisation
de l’industrie pharmaceutique et bancaire ou d’une des deux brasseries
nationales. « L’opinion slovène est, au
sein des pays candidats, celle qui est la mieux informée des mécanismes de
l’Union européenne, constate l’Irlandais Erwan Fouere, chef de la délégation
européenne. Mais elle est traversée par la crainte de perdre, avec l’élargissement,
sa qualité de vie et de voir ses coutumes menacées. » « Si
je suis élu à la tête de l’Etat, j’essaierai d’être actif sur la scène
internationale »,
promet
Drnovsek, un proche de Romano Prodi, avec qui ce solitaire fait de la
bicyclette, et de Jean-Claude Juncker, Premier ministre luxembourgeois. Le
Luxembourg, un autre petit pays, réputé pour son rôle de médiateur au sein
des négociations européennes. Un exemple pour la Slovénie? La Constitution
du pays limite, en principe, les pouvoirs du président de la République à
une fonction cérémonielle. Mais, ici, nul ne pense que le probable prochain
chef d’Etat se contentera de couper les rubans à l’inauguration des
foires artisanales. J.-M.
D. Extrait de L’Express n° 2678 semaine du 31 octobre au 6 novembre 2002
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